Quand on parle d’entraînement fonctionnel au Québec, difficile de trouver un plus gros nom que Karim El Hlimi. Co-propriétaire du gym Le Vestiaire dans le nord de Montréal, athlète ayant participé aux CrossFit Games en équipe il y a quelques années et coach de nombreux athlètes qui en ont fait de même, entres autres, Karim est bien entendu super occupé, mais prend toujours le temps de répondre à mes tonnes de questions à chaque fois qu’on s’assoit pour parler entraînement, nutrition, sports de combat, ect…
Plutôt que de prendre des notes, j’ai pensé lui demander de rapporter notre conversation la plus récente dans un article, que je vous offre aujourd’hui. Elle contient, à mon avis, plusieurs perles qui pourraient vous intéresser et vous faire rire. Évidemment, je paraphrase (les mots ne sont pas exacts, mais le message est pas mal le même) ;a conversation, en y ajoutant ma propre interprétation ici. J’espère que vous apprécierez.
1) Développement du ”Nouveau Vestiaire”, dans Hochelaga-Maisonneuve
Max : Comment ça se passe dans le Vestiaire d’Hochelag?
Karim : Ça se passe vraiment bien. On a l’impression que le quartier manquait vraiment d’offre au niveau de l’entraînement. À part l’ÉconoFitness et quelques petits studios privés, il n’y avait pas vraiment l’opportunité pour les gens de faire des cours de groupe d’entraînement fonctionnel, et de bâtir une communauté d’entraînement. Les gens avaient à se déplacer sur plusieurs kilomètres pour le faire.
Max : Surtout depuis que le ProGym a disparu. Sais-tu s’il a déménagé?
Karim : Oui, encore plus à l’est, dans Langelier j’pense.
2) Formation de coachs qualifiés au Québec
Max : Quelles sont les plus grandes difficultés que tu rencontres dans le développement de tes gyms? La formation de coachs m’intéresse personnellement, non seulement parce que j’ai de l’intérêt, mais aussi parce que j’ai l’impression qu’il manque de bons coachs au Québec, ou du moins dans les gyms où j’ai été exposé récemment. C’est comme s’il y avait trop de gyms pour la quantité de coachs disponibles.
Karim : T’as raison. Peu importe où on va ouvrir, la formation et la gestion du personnel va toujours être un des plus gros défis. Il faut qu’on soit capables de bien servir nos membres avec du bon coaching. À Montréal, en général, ça va bien, et c’est plus un défi à Boisbriand. il manque de main d’oeuvre beaucoup over there et ils nous le disent quand ils se sentent pas encadrés adéquatement. C’est notre responsabilité de trouver/former des bons coachs, et ce sera toujours un défi.
Max : As-tu des projets à ce niveau actuellement?
Karim : On veut contribuer à l’amélioration des formations québécoises en entraînement fonctionnel. Quantum Training semble faire un excellent travail avec ceux/celles qui s’orientent plus vers le bodybuilding/fitness, mais on voit très bien que la formation CrossFit niveau 1 est un point de départ, mais insuffisante pour développer des coachs compétents qui peuvent s’occuper des classes et faire des privés. Même avec un niveau 2 et 3, c’est juste le début.
Max : C’est quelque chose dans lequel je me vois m’impliquer dans les prochaines années. Je constate qu’il y a un grand manque de fondations dans certains des gyms que je visite. Les coachs ne connaissent clairement pas leur physiologie, anatomie et biomécanique de base, et ignorent les progressions/régressions d’exercices en fonction du niveau des clients. Dans une classe typique de 8-10 personnes, tu vas avoir 2-3 personnes avancées que la présente programmation sous-stimule, et 2-3 personnes qui en ont par-dessus la tête, et qui risquent une catastrophe à tout moment. Il faut être capable de planifier/trouver des variations pour tout ce beau monde-là.
Karim : C’est sûr qu’on travaille là-dessus. C’est facile de sous-estimer tout l’expérience qu’on a quand ça fait 10-15 ans qu’on fait ça à temps plein, mais c’est pas le cas pour tout le monde. On a plein de coachs ici qui font ça à temps partiel, à raison de 6-8 heures par semaine, et qu’il faut appuyer pour leur permettre de développer leurs habiletés et leur clientèle. C’est pas facile de vivre de ça au Québec, c’est un ”grind” continuel.
3) Fin de l’Association avec Eye of the Tiger
Max : Depuis quelques années, tu travaillais en préparation physique avec certains des meilleurs boxeurs de la province. C’est quoi les raisons de ton retrait?
Karim : Comme tu le sais, je suis toujours impliqué dans plusieurs projets, et pour moi la préparation en boxe était vraiment par passion. Ça demandait énormément de travail de préparation pour la rémunération que ça m’amenait, et je devais faire beaucoup, beaucoup de sacrifices pour donner le service auquel je m’attends de moi, et auquel ces boxeurs-là méritent. À un moment donné, on peut pas tout faire, surtout avec tous les gyms dont je m’occupe présentement. Ça a été une magnifique expérience, mais il était temps de tourner la page.
* je joins le ”post Facebook de Karim à ce sujet ici
Max : Qu’as-tu particulièrement retenu des particularités de l’entraînement des boxeurs?
Karim : C’est certain que c’est vraiment différent du CrossFit. Ils n’essaient d’être bon dans tout comme nous, les gars/filles sont très spécialisés il faut souvent se demander si ça vaut la peine de travailler sur telle qualité/pattern de mouvement en particulier, parce que notre temps est limité et les athlètes se doivent de performer. On a donc l’obligation souvent de s’en tenir aux priorités, qui sont :
– de garder l’athlète en santé (beaucoup de pré-hab pour les épaules par exemple, qui sont très sollicitées)
– de ne pas trop voir loin en avant, parce que notre temps d’entraînement est très restreint. Sa boxe prend beaucoup de place, évidemment. On doit s’en tenir aux grosses priorités
– de pousser l’athlète dans des conditions très sécuritaires, en oubliant pas que l’entraînement en salle va le hypothétiquement rendre meilleur dans son sport. L’entraînement n’est pas son sport, comme au CrossFit.
Max : C’est la réalité de l’entraînement des athlètes professionnels j’imagine. On voit les ”workouts” de fous que certains font sur les Internets et on a tendance à penser qu’ils font toujours ça, mais une immense majorité du travail qu’ils ont à faire est très répétitif et peu excitant, que ce soit dans le ring de boxe ou dans la salle d’entraînement. J’essaye présentement de percer le monde de la préparation physique en MMA (arts martiaux mixtes) et c’est difficile de même convaincre certains des meilleurs athlètes québécois d’allouer 10-15% de leur temps d’entraînement à de la préparation physique en salle. Encore aujourd’hui, beaucoup ne voient pas d’avantages à ça, mais le principal avantage est justement la prévention de blessures. La prévention, peu importe le domaine, sera toujours difficile à vendre.
Karim : Exactement. On voit bien qu’États-Unis, beaucoup de ressources sont allouées à tout ça pour leurs athlètes, mais le Québec est un petit marché. À moins d’être GSP, les boxeurs se battent dans une écurie qui payent le service pour eux (ce n’est pas les athlètes qui payent pour le service), et les dépenses sont gérées serrées.
Max : Spécifiquement au niveau entraînement, qu’as-tu appris de mieux au niveau entraînement du boxeur?
Karim : L’entraînement de puissance spécifique. Pour le bas du corps par exemple, on a pris l’habitude de ”pré-fatiguer” l’athlète avec des sauts en premier par exemple, pour enchaîner tout de suite après avec quelque chose de plus lourd, sans être nécessairement très lourd. Passé un certain point, on ne veut pas pousser la force absolue de l’athlète trop loin, en raison des arguments dont a parlé tantôt (manque de temps et ressources, risque blessures vs. bénéfices, limitations de l’athlète)
Max : Si je comprends bien, au lieu de faire, par exemple :
1a)Staggered stance trap bar deadlift x 4/jambe, suivi immédiatement de
1b) band assisted alternating single leg jumps x 4-6/jambe
plus longue pause
vous faisiez l’inverse? On fatiguant l’athlète avec des sauts, puis en faisant quelque chose de plus lourd après?
1a) band assisted alternating single leg jumps x 4-6/jambe, suivi de
1b)Staggered stance trap bar deadlift x 4/jambe
Karim : Exactement.
Max : J’aime ça.
4) Pandémie
Max : Pour mettre en contexte, tu as été un acteur important dans la petite révolte des gyms québécois durant la pandémie. Les centres d’entraînement se sont fait traiter comme des services de dernier ordre, et certainement pas comme des services essentiels pour la santé physique/émotionnelle des Québécois. Pour ma part, je n’oublierai jamais cette situation, parce qu’on sait que ça va se reproduire de notre vivant. J’ai beaucoup aimé ton insubordination polie durant ces 2-3 années-là. Maintenant qu’on en est sortis grosso modo, penses-tu que nos leaders politiques ont compris l’importance des centres d’entraînement pour la santé des Québécois?
Karim : Difficile à dire ce qui se passe derrière les portes closes, mais ça ne semble pas avoir changé grand-chose.
5) Entraînement
Max : Avec toutes tes responsabilités, il faut bien que tu trouves le temps de t’entraîner. Comment tu vois ça à ce stade-ci de ta vie?
Karim (le texte qui suit sont les mots exacts de Karim) :
” L’entrainement dans ma vie c’est comme manger un de mes repas par jour. Si je le prends pas, j’ai moins d’énergie, j’suis moins concentré. Donc je l’insère obligatoirement dans mon horaire. C’est mon moment de la journée ou je peux prendre du recul, rétrospection sur mes projets, me faire du fun, sortir l’animal enragé en moi et passer du temps avec mes amis(es) et mes membres. Quand j’ai commencé mon contrat en boxe, et que je comptais jamais mes heures, ma condition physique a vraiment diminué et je voyais un lien direct entre l’augmentation de ma charge disons cérébrale/cognitive et la diminution directe de mon vo2, ma force, qualité de mes fibres, ”stiffness” de mes tendons etc…
J’ai donc un moment donne coupé ca pour rendre ça plus humainement « le fun » et donner un peu plus de temps a moi-même. C’est la que j’ai réalisé qu’en plus que je vieillissais, m’occuper de ma santé et ma condition physique devait devenir une priorité pour que je puisse « rider » tout ce que je fais. Donc l’entrainement maintenant c’est comme l’essence de mon char, c’est ce qui me permet de propulser tout ce que je fais, de me donner du carburant. Les objectifs que j’ai son plus du côté de la course a pied, retrouver un 1500m un peu plus proche de ce que je faisais ”back then” mais avec 40lbs de plus de masse, faire des compétitions avec des amies et pouvoir tenir le pace de mes kids jusqu’à ma mort.
J’espère que vous avez apprécié,
et soyez bons!
Max