Lorsqu’il est temps de parler d’aides ergogènes, une amélioration de la performance démontrée de 1-3% est susceptible de susciter un intérêt majeur pour beaucoup d’athlètes. Énormément de produits ont été testés au fil des décennies, et très peu (caféine, jus de betteraves, entres autres) ont résisté au test du temps, et surtout, à l’effet placebo. C’est pourquoi j’ai longtemps négligé d’investiguer du côté de l’acétaminophène (je fais référence au Tylenol dans cet article) pour la performance d’endurance ; comment pourrait-il directement influencer positivement la performance d’endurance? Par quels mécanismes? La réponse n’était pas claire pour moi. Après en avoir entendu parler encore récemment, j’ai décidé d’y jeter un coup d’oeil. Voici mes conclusions.
1) Tylenol : ses mécanismes ; pourquoi s’en sert-on à l’origine?
L’acétaminophène, qu’on a tendance à appeler Tylenol presqu’uniformément, est utilisé comme antalgique (anti-douleur) et antipyrétique (anti-fièvre), et représente l’un des médicaments disponibles en pharmacie (over-the-counter, en anglais) les plus utilisés au monde. Largement considérés comme sécuritaires et ayant une bonne cote (semble-t-il) auprès du public en général, les comprimés de Tylenol sont souvent pris de façon irresponsable par des gens, qui consciemment ou pas, peuvent se bousiller le foie dans le processus. Dans cet article de Santé Canada (2016), on parle de 4500 hospitalisations par année au Canada dues à des surdoses, qu’elles soient intentionnelles ou pas. Ce n’est certainement pas rien. Les drogues sont souvent classées drôlement dans l’opinion publique, ce qui rend les plus accessibles très dangereuses, en de très nombreuses occasions (l’alcool en est évidemment un très bon exemple).
2) Mr. Tylenol et ses adeptes chez les athlètes d’endurance
Historiquement, les athlètes d’endurance sont parmi les plus résilients de la planète, à mon avis. Pour cette population, les longues sorties en vélo ou à pied (ou autres) sont souvent comme une drogue à part entière, et l’instinct est souvent d’ignorer les signaux de douleur et d’inconfort qui font partie du quotidien de ce genre d’athlète. Les blessures associées à l’exposition à des ”patterns” de mouvement très restreints et répétitifs (vélo par exemple) sont très fréquentes, ce qui force parfois l’athlète à utiliser des aides ergogènes pour ”geler” la douleur avant une sortie ou une course particulièrement importante. C’est probablement comme ça que le Tylenol a été découvert, hypothétiquement, comme aidant à améliorer les performances d’endurance chez le cycliste ou le coureur, plus particulièrement.
3) Effet Placebo et Méta-analyses
Comme mentionné dans le paragraphe précédent, les sports d’endurance sont souvent un test plus concret de ”celui ou celle qui est prêt à souffrir le plus gagne”. Dans un sport où pratiquement tout le monde coure/roule de la même façon, et où la créativité/talent n’a peu ou pas d’influence sur le résultat (à l’opposé du soccer, des arts martiaux ou du hockey par exemple), 2 réalités sont plus importantes que partout ailleurs :
– le moteur : (le wattage ou tempo que l’athlète est capable de maintenir sur une distance donnée)
– la quantité d’inconfort qu’il ou qu’elle est capable de supporter sur la distance donnée
C’est, à mon avis, pourquoi le Tylenol présente un attrait particulier pour ce genre d’athlète. Bien qu’il ne fasse rien pour améliorer le moteur de l’athlète (ce que le jus de betteraves pourrait faire, hypothétiquement), il semble qu’il ait un effet masquant sur l’effort ressenti par celui-ci, le rendant susceptible d’être en mesure de courir/rouler à une intensité légèrement plus élevée à un effort égal, toutes autres choses étant égales.
Ce qui est bien avec un médicament, ou des suppléments, est la facilité avec laquelle il est possible de faire une étude randomisée à doubles volets. Ce faisant, l’athlète n’a aucune idée s’il reçoit le placebo ou pas (les pilules sont pareilles), alors qu’il est souvent très difficile de faire de même avec de la nourriture (difficile de faire passer une pomme pour une carotte). Ce faisant, avec ce genre d’études, l’effet placebo peut hypothétiquement être éliminé (tout le monde est susceptible de penser avoir reçu la pilule de Tylenol), ce qui teste véritablement la pilule de Tylenol.
Pour en venir aux résultats , une méta-analyse (recueil d’études diverses, qui est considéré comme la meilleure façon d’interpréter des données) récente, qui a compilé des données de 10 études qui ont été faites de 2010 à 2021, a conclu que :
– les résultats positifs du Tylenol (performances des cyclistes/coureurs) ne sont pas statistiquement assez significatifs pour être attribués à autre chose que de la chance.
Cependant, quelques bémols sont à ajouter ici. D’abord, la ou les études qui ont fait prendre à leur sujets du Tylenol près de leur compétition (30-45 minutes) semblent avoir eu de bien meilleurs résultats que les études qui leur faisaient prendre le Tylenol 120 minutes (2 heures) avant. C’est probablement dû au fait que la demi-vie du Tylenol dure moins longtemps qu’on pensait, et nécessite d’être ingéré juste avant la course pour encore fonctionner quand on a en vraiment besoin ; à la fin de la course!
De plus, évidemment, la question de la dose reste importante. Certaines études ont donné 500 mg de Tylenol à leurs sujets, qui étaient plus susceptibles d’êtres des hommes, de ce qui a été mentionné. À 500 mg, il pourrait évidemment être suggéré que cette dose n’était pas assez (surtout si en plus ingéré 2 heures avant la course ou performance) pour obtenir un effet ergogène, alors que 1500 mg pourrait l’être. La plupart des sujets étant des hommes (plus lourds), donc ayant potentiellement une capacité plus grande à éliminer les effets du Tylenol par le foie (comme l’alcool), les auteurs de cette méta-analyse avancent qu’une étude se devrait de tenter l’expérience à 1000mg ou 1500mg de façon universelle, alors que la dose limite permise pour un adulte au Canada/USA avoisine les 4000mg (4g) par jour.
4) Tylenol : une question de température?
Bien que le Tylenol est maintenant utilisé massivement (à tort ou à raison) pour faire diminuer l’effort ressenti pendant une course ou une performance, une autre de ses caractéristiques semble jouer un rôle déterminant :
– sa capacité de faire diminuer la fièvre (ou d’empêcher son élévation)
En effet, l’un des facteurs limitant la performance d’endurance est l’augmentation de la température corporelle d’un sujet. Peu d’études parmi la méta-analyse du paragraphe précédent ont été conduites dans de très chaudes conditions, ce qui pourrait compromettre la validité des résultats, Dans cette étude (2013), où les participants se devaient de pédaler (vélo) le plus longtemps possible à une intensité donnée avant de devoir abandonner, les résultats ont été très concluants :
– les sujets, dans des conditions chaudes et humides, à qui on a donné du Tylenol 45 minutes avant l’exercice ont maintenu des températures internes (rectales) plus basses que ceux à qui on avait donné un placebo.
Cette étude est particulièrement intéressante puisqu’elle impliquait des athlètes récréatifs et non des cyclistes professionnels. Bien que l’effort ressenti des athlètes peut être très subjectif, il semble difficile de ”faker” ou feindre une élévation drastique de sa température, ce qui place à mon avis le Tylenol en bonne position pour ce qui est de cette variable.
5) Conclusions personnelles et protocole de course
Bien évidemment, cet intérêt pour le Tylenol n’est pas anecdotique. Je n’ai jamais pris de Tylenol pour la douleur auparavant, et je décourage son utilisation dans des circonstances normales, et particulièrement pour l’hypertrophie (musculation). Cependant, je suis très intéressé par ses effets pour ma performance de course. À une dose considérée bénigne pour le foie à 1g, puis à 1,5g, trente minutes avant un entraînement de course d’assez longue durée (60 à 90 minutes), je compte tester le Tylenol pour ses effets sur :
– la perception d’effort, sur 10, à un tempo donné qui représente ”un challenge” certain pour moi
– la perception de chaleur ressentie, sur 10
Par la suite, nous verrons si je compte utiliser le Tylenol pour mon deuxième demi-marathon, le 19 juin prochain.
Soyez bons!