L’alcool et ses effets sur le cerveau

A group of people toasting drinks at a restaurant.

Tout comme avec la cigarette il y a plusieurs décennies, nous savons tous, ou presque, que consommer de l’alcool régulièrement a le potentiel d’avoir de nombreux effets négatifs sur notre santé, et ce surtout à long terme. Cependant, à l’opposé du débat sur la cigarette, où l’on a en quelque sorte conclu que même une seule cigarette par jour pouvait être problématique (et de toute façon, combien s’arrêtent à une?), nous sommes en quelque sorte encore en train de figurer la dose maximale acceptable pour toujours être en mesure d’apprécier notre consommation d’alcool en évitant de subir d’effets majeurs au cours de notre vie.  L’étude que je décortiquerai portera spécifiquement sur les effets de la consommation d’alcool , à différentes doses sur le cerveau, menée très récemment par l’Université de la Pennsylvanie, sur une large population de participants située en Angleterre.

1) Mise en contexte

L’étude, conduite sur pas moins de 36 000+ personnes (donc plus de 50% sont des femmes), âgées de 40 à 69 ans (moyenne d’âge autour de 50 ans), a d’abord demandé aux participants de remplir un questionnaire qui leur demandait de rapporter leur consommation d’alcool lors des derniers 365 jours en nombre de consommations, allant de l’abstention totale à 4 et plus au cours d’une journée (0 à 28 et plus par semaine).  L’étude, rapportée par le prestigieux magazine scientifique Nature, indique qu’il s’agit en fait de la plus grande collection (en nombre = n) de scans (MRI) de qualité du cerveau qui soit (+ de 36 000).  Il a été tenté de standardiser l’étude autant que possible en éliminant les facteurs de confusion (méthodologie, cigarette et autres habitudes néfastes) durant la période de l’étude ; il semble difficile d’éliminer tous les facteurs (et c’est pourquoi les études épidémiologiques sont si difficiles à conduire, et surtout, pourquoi il est si difficile d’en déduire quelque chose de clair et presque définitif) de confusion, mais il semble clair qu’un effort conscient a été fait dans ce sens, et c’est pourquoi posséder une banque de données aussi grande est aussi importante ; il semble ainsi plus facile d’identifier des ”patterns” de comportements clairs, alors qu’il semble plus facile d’attribuer à la chance ces comportements dans des plus petits groupes d’observation.

2) Matière grise et matière blanche

Lorsqu’il a été question de tests d’imagerie (MRI’s) plus tôt, il s’agissait en fait de déterminer si la consommation d’alcool (je répète : moyenne d’âge de 50 ans) de la population étudiée (important de mentionner qu’on parle d’une ”snapshot” prise à ce moment-là dans la vie de ces gens ; impossible de savoir si ces gens se sont causés la majorité de ces dommages dans leur jeunesse, par exemple.  On a recueilli leur consommation d’alcool au moment où on leur a fait passer ce test d’imagerie) était corrélée avec une quelconque réduction de matières grise et blanche dans leur cerveau.  Il semble simple, sans en faire un cours universitaire, de mentionner que les éléments de la matière grise du cerveau traitent l’information, alors que la matière blanche s’occupe de la communication de celle-ci.

3) Résultats

Tout d’abord, il importe de clarifier ce qu’une unité (unité = mesure utilisée pour l’étude) d’alcool veut dire en termes de consommations par rapport aux normes générales établies à travers le monde.  Au Québec, 1 verre veut généralement dire :

– une bière standard de 340 ml à 5% d’alcool
– un verre de vin standard de 140ml à 12% d’alcool
– un ”shooter” standard de 45 ml à 40% d’alcool

Chacune de ces consommations contiennent une quantité approximativement similaire d’alcool et correspondent à 2 unités d’alcool dan le cadre de l’étude dont on parle ici. Au Québec (2022), une consommation qu’on juge responsable ou modérée fixe à 10 consommations par semaine la limite pour les femmes (20 unités donc) et 15 consommations (30 unités) pour les hommes.  Évidemment, ce sont des généralités qui ne tiennent pas compte de l’énorme variabilité de tolérance qui existe entre les individus (fréquence d’exposition, génétique, masse corporelle, ect..)

Les résultats qu’ont obtenus l’Université de la Pennsylvanie sont surprenants ;

– n’importe quelle consommation (autre que l’abstention totale) d’alcool semblait avoir un effet néfaste (réduction du volume des matières grise/blanche) sur le cerveau.

– la différence de perte de volume (cerveau) entre 0 unité et 1 unité (1 demi-verre par jour, donc 3-4 verres par semaine) par jour a semblé très légère.

– la différence de perte de volume entre 1 et 2 unités (7 verres par semaine) a créé une nette disparité entre les deux, laissant supposer que le ”cutoff”’ où la situation se détériore pour la plupart se trouve entre 3.5 et 7 verres d’alcool par semaine.

– plus grande était la consommation d’alcool, et pires étaient les résultats, évidemment.  Il est rapporté dans l’étude qu’on estimait le vieillissement prématuré du cerveau à 10 ans et +, pour ceux qui consommaient plus de 4 unités par jour.

– même en enlevant les consommateurs d’alcool les plus intenses (plus de 4 unités par jour (28/ semaine)), qui ”by the way” se situe à la limite des recommandations pour les hommes au Québec (30), qui auraient pu peser très lourd dans la balance, les scientifiques en sont quand même venus à la même conclusion ; 2-3 unités d’alcool par jour (7-10 verres par semaine) semblent dégrader le volume de notre matière blanche/grise, et ce, à un âge moyen (50) où l’on souhaite profiter encore de toutes nos capacités (opinion personnelle).

4) Conclusions et points d’interrogation sur l’étude

Évidemment, il y a plusieurs endroits où cette étude a des limitations :

– est-ce que perte de volume de matière grise/blanche veut dire automatiquement perte de fonction cognitive? J’en doute, et il faudrait certainement des tests cognitifs à faire passer à cette même population pour en voir l’évolution au fil des années.  Le problème reste toujours le même ; personne n’a les ressources financières pour faire passer tous ces tests à 36 000 personnes!  C’est sans compter la problématique de s’entendre sur les bons tests cognitifs (méthodologie), ect…

– il reste toujours le point d’interrogation de la tendance que prennent les gens en vieillissant ; est-ce que les gens qui boivent plus de 2 unités par jour en buvaient 4-5 dans leur vingtaine/trentaine? Est-ce que c’est à ce moment-là qu’ils ont fait le plus clair du dommage?  On sait pas.  C’est le problème de prendre une ”snapshot” (un MRI) du cerveau d’une personne (dans ce cas-ci, de 36 000 personnes) et d’en tirer des conclusions.

– les questionnaires sont toujours plus ou moins fiables, parce qu’on peut difficilement faire confiance aux gens (se souvenir de leurs habitudes de consommation d’alcool).  En contrepartie, il semble beaucoup plus facile de se souvenir de consommations d’alcool que de portions de nourriture.  Aucune comparaison ici, et les résultats ont tendance à le prouver, à mon avis ; plus grandes étaient les consommations d’alcool rapportées, plus grandes étaient les pertes au cerveau.

– un gros élément manquant semble aussi au niveau des doses d’alcool consommées : y a-t-il une différence au niveau des résultats si une personne consomme ses 7 unités d’alcool régulièrement lors’ d’une même  soirée (samedi Karaoké party!), versus 4 unités au cours de la semaine et 3 la fin de semaine?  L’étude n’a pas tenu compte de cette particularité, probablement parce que ça aurait compliqué le questionnaire et l’aurait rendu beaucoup plus susceptible d’être empreint d’erreurs.  Ce n’est qu’anecdotique, mais cette  étude a, contre toutes attentes, démontré moins de problématiques dans cette étude pour les gens qui ”bingedrinkaient” 1 fois par semaine que ceux qui buvaient moins, mais de façon plus régulière, pour un volume total égal (fibrillation auriculaire). Ce sujet mérite un article à lui seul, cependant.

5) Mes conclusions personnelles

Évidemment, mes propres conclusions ne peuvent être dissociées de mon mode de vie ; facile d’avancer que j’ai pris la décision de m’abstenir de boire (ou presque) quand tous mes objectifs de vie (et donc toutes mes habitudes) sont orientés dans cette direction.  Pourtant, en même temps, nous développons la méthode scientifique pour une raison précise et ce sera toujours d’être à la recherche de ce qui est le plus proche de la vérité.  En ayant des données qui sont de plus en plus précises, je suis d’avis que nous avons en quelque sorte l’obligation de prendre le pour et le contre, et d’établir nos priorités. Sinon, nous nous mettons la tête dans le sable ; est-ce que je suis prêt, hypothétiquement, à perdre une petite partie de mon volume cérébral (et donc, hypothétiquement, une partie, même minime, de mes fonctions cognitives) pour 4-5 verres par semaine vers l’âge de 45-60 ans ? Dans mon cas, la réponse est facile et c’est non ; je ne suis pas prêt à prendre ce risque.  L’alcool n’a jamais présenté d’intérêt particulier pour moi et c’est loin d’être une grosse perte.  Ça ne fait pas de moi la première personne à appeler pour faire le ”party” et c’est 100% correct.  Ce que je serai curieux de suivre au cours des prochaines années sera le comportement du gouvernement du Québec au niveau des normes de consommation ”modérée” pour ses citoyens.  À mesure que des données probantes vont sortir, va t-on revoir les recommandations à la baisse?  Est-ce que le gouvernement, qui gère la SAQ, est en conflit d’intérêts à ce niveau? Très possiblement, mais à mesure qu’on a de plus en plus de gens qui poussent la réflexion très loin pour accentuer leur longévité et ”bander dur” jusqu’à 100 ans, il faut penser à tout, et notre consommation d’alcool en fait partie, inévitablement.

A group of people toasting drinks at a restaurant.